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Courriel groupé envoyé après la descente du Rio Negro

Premières impressions à l'arrivée à Manaus

Manaus, 22 août 2005

Bonjour à tous
Voilà les dernières nouvelles des deux marins d'eau douce !
Nous avons atteint Manaus hier soir après 20 jours de tranquille navigation le long des 1000 km du Rio Negro depuis São Gabriel da Cachoeira. Le voyage a commencé par de petits déboires qui nous ont fait perdre quelques jours.
On a remonté le fleuve en recreio (bateau de passagers, hamac obligatoire) en trois jours, notre pirogue bricolée ligotée a l'arrière, suscitant la curiosité et l'amusement des passagers sur ces gringos et leur "barco reformé".

Une fois arrivés au port de Camanaus (distant de 20 km en aval de São Gabriel, à cause des rapides non remontables par le recreio, premier imprévu), on a confié notre pirogue au capitaine qui ne devait redescendre vers Manaus que 4 jours plus tard.
On descend à l'hôtel "Deus me deu" ( Dieu m'a donné ).
Quelques jours de shopping intensif pour trouver entre autres, des touques (en vain), de la bouffe, et de palabres au port de São Gabriel pour trouver un charpentier afin de modifier notre pirogue en prao ( voilier reversible avant-arriere avec balancier ). Tadeo, un indien nous branche sur son frère. Décision difficile : on lui fait refaire une pirogue depuis le début et on abandonne la nôtre en essayant de la revendre. Le temps de refaire un tour au port de Camanaus ( on commence à connaître tous les taxis ) pour détacher la pirogue du recreio et la coincer sur une grève un peu plus loin, on est partis avec Tadeo dans un petit bateau poussif avec une volée de gamins, au moteur assourdissant auquel des clous sont ajoutés en cours de route, pour aller chez son frère Thiago un peu plus haut sur le rio Negro. Le moteur est tellement juste qu'il faut parfois 20 minutes pour passer un petit rapide et avancer de 5 mètres.
Enfin on arrive de nuit, un peu affamés, on nous attribue une petite maison en bois et toit en palmes dans le village et on nous souhaite bonne nuit.
Au matin, nous prenons le petit déjeuner avec Thiago le frère charpentier : du 'beju', du jus de manioc (qui représente 100% de leur culture et source de nourriture), c'est très proche de ce qui s'écoule de la passoire quand on égoutte du riz qui a trop cuit dans trop peu d'eau, mais froid. Notre coup de coeur hem... On se maudit de ne pas avoir pensé a prendre ne serait-ce qu'un paquet de biscuits.
On est quelques minutes plus tard avec lui à choisir un arbre en forêt pour notre pirogue.
L'arbre est abattu en quelques minutes et le débitage en planches de 1,5cm (à la tronçonneuse !) commence. Problème de chaîne, on rentre manger (ouaaah enfin) il est midi de toutes façons.
Mais deux blancs viennent d'arriver en bateau. Et là tout va très vite : ils nous demandent nos autorisations (nous découvrons que nous sommes en réserve indigène) et une demie-heure plus tard nous sommes expulsés et de retour á São Gabriel... sans pirogue et sans pagaies ! et vaguement dégoûtés, sans moyen de recontacter Thiago et un arbre abattu pour rien... On retourne au port un peu inquiets... notre "première" pirogue est toujours là, sauvée de la dérive in extremis et attachée par une âme bienveillante. Nous voilà avec pirogue et sans pagaies.
Heureusement on recroise Thiago en ville, que l'on paie pour qu'il nous cherche nos pagaies oubliées lors de notre évacuation, ou nous en produise de nouvelles, si celles-ci sont perdues.

Pendant ce temps on a établi notre quartier général au bord de l'eau à Camanaus et à côté de notre pirogue, pour la recalfater car elle prend bien l'eau, d'autant plus qu'elle est restée quelques jours hors de l'eau et a séché. Et puis las de toutes ces recherches de charpentiers etc... on se lance, on part lundi 1er août, vaguement rassurés, avec deux pagaies, dans notre pirogue que notre pied marin manque de faire chavirer à chaque mouvement, et qui continue (mais moins) à prendre l'eau, en fin d'aprés midi. Première nuit étrange et un peu inquiétante : navigation sous les étoiles, quelques rapides doivent être évités uniquement à l'oreille, des lueurs étranges qui s'avèrent être un pêcheur dans sa petite pirogue qui pêche à la lampe et au harpon... Mais bonne surprise au matin, le courant nous a déjà bien éloignés de notre départ. On prend le rythme assez vite. Les bonnes heures sont le matin et le soir, mais courtes, et séparent des journées brûlantes de nuits assez fraîches. Le bronzage s'affine. Le chapeau est de rigueur. Les nuits sont passées soit à terre dans nos hamacs, soit à bord avec parfois la joie le matin, d'avoir avancé de quelques dizaines de km gratuitement (quand par chance notre pirogue n'a pas stagné des heures dans un contre-courant sans qu'on s'en rende compte, perdus qu'on était dans notre profond sommeil, sur nos deux planches de 1,50m par 20cm). On atteint comme ça, en pagayant un peu, de mauvaise grâce, Santa Isabel en 5 jours.

Mais à partir de là, le courant va diminuant. On s'arrête donc deux jours après à côté d'une maison en bois qui semble abandonnée mais depuis peu, et après avoir rencontré nos premiers dauphins qui deviendront nos fidèles compagnons (on en a vu depuis, tous les jours), et près de laquelle poussent des bambous énormes et, surprise, épineux.
On entreprend alors d'en couper pour construire nos bras, notre balancier et notre mât (la voile a déjà été cousue à Manaus). En deux jours on est prêts et on quitte ce sympathique endroit, avec un filet emmêlé et déchiré (quel ustensile de maniaque... et qu'on sait si peu utiliser qu'il n'a à son actif que deux pauvres poissons).
Le lendemain la voile est montée et on jouit de nos premiers km gagnés sans sueur supplémentaire, sans rien faire d'autre que tenir la voile et barrer. Heureusement le temps change. Plus (+) de vent. Plus d'orages aussi, durant les nuits surtout. Ce qui aboutit dans le pire des cas à nous faire passer une nuit à pagayer toutes les heures pour nous éloigner des rives vers lesquelles désormais le vent nous pousse, nous obligeant à démâter avant la nuit pour ne pas nous retrouver inextricablement coincés dans la végétation ripicole, et pour finir trempés par une sainte douche, attendant impatiemment le point du jour et le séchage solaire. On peut aussi se plonger dans une eau rendue délicieusement tiède par le contraste (alors qu'elle est agréablement froide à la pleine chaleur), pour momentanément se réchauffer pendant les pics de vent mouillant.

Les soirées sont passées à traquer les animaux, longeant les rives, lampe au front, débusquant leurs yeux par le rougoiement qu'ils produisent sous cet éclairage. Mais la plupart d'entre eux se planquent à notre vue (la leur est meilleure que la nôtre, sans blague) dont les probables caïmans en de gros et frustrants ploufs. On se contente donc des éternuements et respirations anthropoïdes des dauphins, qui nous collent décidemment aux basques et d'en entendre beaucoup d'autres : des singes hurleurs, des sapajous qu'on aperçoit rarement - mais c'est le bonheur de croiser des singes chez eux - beaucoup d'oiseaux, un fourmilier).
Nous croisons aussi quelques communautés d'Indiens souvent d'un flegme vexant devant le premier bateau à voile qu'ils voient sans manifester quoi que ce soit (mais venant de gringos rien n'est étonnant, pas même un voilier sans vent...), et refusant de nous vendre fruits et poissons ('non, y a pas') qui sont apparemment peu disponibles. On n'aperçoit d'ailleurs jamais ou presque de plantations de bananiers, cocotiers... là où le manioc règne sans partage. C'est symptomatique et inexplicable : nous ne trouverons pas à Barcelos même en ratissant le ville deux fois, de citrons, quand la boisson principale est la Cachaça (rhum) et sa corollaire la Caipirinha (rhum-citron-sucre).

Pour les amateurs de mythes et "d'enfer vert" : nous n'avons jamais souffert des moustiques ni d'autres insectes à bord (par contre épines et fourmis en forêt...). Nous avons bu systématiquement l'eau du rio sans la traiter, et nous sommes baignés plusieurs fois par jour dans une eau sombre et tranlucide, sans aucun problèmes autres que quelques coupures dûes à notre maladresse, en aiguisant nos machettes par exemple.
Mais on nous promet le contraire pour le rio Amazonas : les eaux du rio Negro sont trop acides pour permettre la vie larvaire des moustiques et donc...
Notre ordinaire (et l'extraordinaire aussi) est composé de boîtes de sardines, de farinha de manioc (un peu comme de la semoule sèche, mais plus facile à croquer), de rares oignons, et de biscuits secs. Un peu trop monotone. À améliorer. L'arrivée de la voile et du balancier (et de la merveilleuse stabilité qu'il procure) nous a définitivement éloignés de l'envie de pagayer.

Nous avons donc atteints successivement Santa Isabel do rio Negro le 6 août, Barcelos le 12, Carvoeiro le 14 (un mémorable arrêt vin de messe à 11h dans le seul bar du village nous plongeant dans la torpeur pour le reste de la journée) et Manaus hier 20 août en fin d'après-midi après une nuit précédente un peu pénible, dans un rio devenu énorme (plus de 20 km de large), et dans le clapot de 4 orages successifs (mais dont la pluie a été inexplicablement évitée) faisant du surplace dans une pirogue menaçant d'être remplie par les vagues successives. Nuit heureusement suivie d'une journée plutôt efficace, un bon vent arrière bien établi nous amenant dans la zone de Manaus et son trafic nautique, amusé par notre hétéroclite esquif. On a eu la chance de tomber hier soir sur une fête d'anniversaire d'une cousine de Lílian, qui nous a remis en fonds diététiques.
Notre petite pause à Manaus va être mise à contribution pour la lessive qui s'impose, la pluie ayant entamé une moisissure malodorante de l'ensemble de nos affaires, le développement de quelques premiers films, et diverses courses.
On partira lundi soir ou mardi matin avec comme premier objectif, à 40 km, la rencontre des eaux et notre adieu au rio Negro (et à son eau si goûteuse, vaguement acide et sucrée, mais aussi si sombre que c'en est un vrai miroir) qui meurt en une agonie de 200km dans les eaux boueuses et claires du rio Solimões (qui devient "rio Amazonas").
Voilà, j'en ai dit assez pour vous rassurer et vous inquiéter sur nos prochains 1700 km en direction de Belém ou de Macapá (sud ou nord du delta amazonien), qui risquent d'être bien différents des précédents.

Portez-vous bien
Amitiés
Matthieu


 
 
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