Construction d’un télescope de Newton
de 75cm de focale et 16cm de diamètre

 

 

A. Origines du projet

Un ami apprenant mon intérêt pour l’astronomie m’a avoué en février 1999 avoir commencé le travail d’un miroir quelques dix ans auparavant et avoir abandonné. Il m’a proposé de reprendre son matériel et de terminer le travail. J’ai un peu hésité: l’occasion était tentante mais contraignante. L’idée m’en était déjà venue mais ça n’avait jamais été qu’un vague projet. J’ai finalement accepté et réalisé mon télescope, ce que je n’aurais pas fait avant longtemps sans cette opportunité!
J’ai pris donc possession d’un poste de travail, de l’outil et du miroir de 159mm de diamètre dont le travail en était au niveau de la fin du doucissage, d'un miroir secondaire de 32mm de diamètre utile, et de divers accessoires: reste de blanc à polir (oxyde de zirconium), petit moteur, tubes porte-oculaire de différentes tailles, appareil de Foucault presque terminé, support pour miroir et ouvrage de Michel Lyonnet du Moutier (Réalisez vous-même votre télescope, éd. Eyrolles) et... petite cuiller.
Son projet ayant été guidé par le dit-livre, le miroir avait pour caractéristiques F/D=8. Après avoir un peu survolé en tous sens le livre de Lyonnet du Moutier, j’ai décidé de m’en démarquer, et de suivre plutôt Jean Texereau (La Construction du Télescope d’amateur, éd. S.A.F.), plus complet et qui décrit la méthode de parabolisation, rendant possible des rapports d’ouverture plus petits. J'en recommande vigoureusement la lecture.
Mon but a tout de suite été de réaliser le télescope le plus transportable possible, donc le plus petit possible. C’était un objectif incompatible avec un rapport F/D=8.

 


Nécessité d'un miroir parabolique | Comparaison d'une parabole à 3 sphères de rayons décroissants
source : Jean Texereau, la Construction du téléescope d'amateur

 

B. Travail du Grand Miroir

Pour les raisons d’encombrement évoquées plus haut, j’ai décidé de pousser mon miroir à F/D=5, ce qui équivalait à peu près à atteindre une flèche centrale de deux millimètres. Le poste de travail ainsi que l’appareil de Foucault utilisés sont ceux décrits par Lyonnet du Moutier. L’évolution de l’ébauchage a été contrôlée par mesure de la flèche et non pas par un calibre. Le sphèromètre ainsi utilisé n’était autre qu’un bout de madrier bien droit traversé en son centre par une vis au pas de 1mm. Une molette graduée donnant la profondeur, après un rapide étalonnage sur le dos, supposé plan du miroir. La vis doit être taillée en pointe mais pas trop aiguë car son usure rapide sur le verre gris fausserait vite la mesure. Ce dispositif permet sans peine des mesures à un dixième de mm, ce qui suffit amplement à contrôler un ébauchage, la focale finale n’étant pas exigée avec une grande précision.
L’ensemble du travail de taille a été réalisé entre le 6 août 1999 et le 18 décembre de la même année suivant les données ci-dessous. Les durées ne donnent évidemment qu’une idée grossière, le travail évoluant beaucoup suivant la disponibilité de l’opérateur et surtout... son humeur! Le chanfrein était repris régulièrement mais pas toujours à temps avec une pierre à aiguiser en carborandum.
Flèche de départ: 1,1mm

Ébauchage

  • 1. carborandum 80 :
    du 6 au 8 août, trois heures et demie de travail pur
    25 séchées dont deux dernières longues et douces
    courses décentrées
    quantité utilisée: 50 à 100g

Doucissage

  • 2. Corindon 120
    du 9 au 22 août, trois heures et demie
    23 séchées, courses: "8" & "W" (la course en "8" est en fait une course en 8 couché, symbole infini)
    quantité utilisée: 100g
  • 3. Corindon 180
    du 31 août au 10 octobre, quatre à cinq heures
    13 séchées, courses: "8" & "W" alternativement petites et grandes
    quantité utilisée: moins de 100g
  • 4. W1
    le 30 octobre, cinq heures
    12 séchées, courses: "8"
    quantité utilisée: environ 50g
  • 5. W2
    le 30 octobre, une heure et demie
    8 séchées, courses: "8"
  • 6. W3
    le 31 octobre, une heure
    6 séchées, courses: "8"
  • 7. W4
    le 31 octobre, trois heures
    12 séchées, courses: "8"
  • 8. W6
    le 31 octobre , quatre heures
    17 séchées dont 5 de W4 pour rattraper des rayures (en partie en vain...)
    courses: "8"


Miroir principal et polissoir en place sur le poste de travail

Polissage

Tout a commencé par l’impossibilité de trouver de la poix. J’ai tout essayé: magasins d’art, drogueries et pharmacies, le problème n’étant pas la disponibilité de ladite poix mais plutôt que personne ne savait ce que c’était, et j’étais bien incapable de l’expliquer. Après plusieurs minutes de parlementations avec une droguiste de Strasbourg (la seule!), j’ai pu obtenir qu’elle me montre ce qu’elle appelait «colophane», et que je connaissais moi-même pour l’utiliser sur la mèche en crin de mon archet pour la faire mieux mordre les cordes de mon violoncelle. Elle est en fait obtenue par distillation de la térébenthine (mélange de résines de conifères): le distillat est appelé «essence de térébenthine» et le résidu «colophane». C’est ainsi un corps (sans doute!) très voisin par sa composition de la poix, et aux propriétés physiques semblables, quoique peut-être un peu plus cassante. Elle est d’une belle couleur ambrée, la poix devant sans doute sa noirceur à une grande quantité d’impuretés. J’ai donc tenté la chose et en ai acheté 300g. Les opérations de fonte et de moulage ont été conduites le 11 novembre 1999 comme indiqué dans le cas de la poix, la colophane étant ramollie par adjonction d’essence de térébenthine - en fait exactement à l’inverse de sa fabrication. Le moulage a été fait en deux fois, la première colophane étant trop dure. Voulant économiser l’effort (par flemme, quoi!) de recouvrir les tasseaux du moule de papier kraft, j’ai eu un mal fou à démouler sans tout casser les bandes de colophane. Par ailleurs je ne sais pas ce qu’il en est pour la poix mais la colophane est très sensible aux changements brusques de température (surtout lorsqu’elle contient peu d’essence), le refroidissement doit donc se faire très lentement. C’est le moment précis où l’invasion de tout les recoins des pièces, fonds de chaussettes, fauteuils et papiers par la colophane va débuter, car la moindre miette de colophane ramollie se colle à tout ce qu’elle touche et y reste...


Illustration de la théorie de Lord Rayleigh
source : Jean Texereau, la Construction du téléescope d'amateur

Le polissage a commencé le 13 novembre et s’est achevé le 4 décembre. Après quelques minutes le miroir brille déjà, mais les dernières piqûres seront longues, de plus en plus longues à partir...
Il a duré un total d’environ sept heures et demie. Une loupe compte-fil me permettait de dénombrer approximativement le nombre de piqûres par unité de surface.
après quatre heures: 400 p/mm2
après six heures: 50 (bord) et 80 (centre) p/mm2
après 7h30: 35 (centre) et 20 (bord) p/mm2
Les courses étaient variées "8" et "W" avec un déport d’un tiers de diamètre. Le rognage des carrés de colophane doit être refait toutes les heures de travail environ. Je découvre (un peu tard) qu’une forte pression accélère notablement l’opération ainsi que la fatigue!
Un premier test de Foucault me donne les caractéristiques tant attendues du miroir: 754mm de longueur focale, et un rapport F/D=4,8 : impeccable!


Explication géométrique de la méthode de Foucault
source : Jean Texereau, la Construction du téléescope d'amateur

Parabolisation

Après de longs remâchages des pages de Texereau et de Danjon et Couder (Lunettes et Télescopes) sur la tant attendue et redoutée parabolisation, je me lance. Le masque est divisé en six zones (j’ai cru augmenter la précision en multipliant les zones, en fait il s’avère que les zones 5 et 6 sont un peu petites et leur lecture fatigante, quatre auraient suffi pour un miroir de cette taille). Les premiers tests de Foucault me paraissant délicats à lire, je cherche et mets au point un système de contrôle simplifié fonctionnant à l’envers de la méthode décrite.


Aberration d'un miroir parabolique à son centre de courbure
source : Jean Texereau, la Construction du téléescope d'amateur


Je commence par me faire un tableau donnant pour chaque zone la différence de tirage. Un tableau conventionnel donnerait ça:

zones position rel. tirage
centre 0 0mm
1 0,2 0,17mm
2 0,49 0,98mm
3 0,64 1,67mm
4 0,76 2,34mm
5 0,86 3,02mm
6 0,95 3,69mm
extrême bord 1 4,04mm

Le système que j'adopte finalement fonctionne à l’envers (il peut être plus complet, en prenant tous les demis ou quarts de millimètres de tirage par exemple, ce qui correspond pour un pas de vis standard, respectivement à un demi et un quart de tour):

tirage

zone
(position relative)

0mm 0
1mm 0,49
2mm 0,7
3mm 0,86
4mm 0,99

Je pars donc du tirage pour chercher la zone (à l'inverse de la méthode traditionnelle). En fait je me fais un tableau encore plus détaillé reliant position moyenne (de 0 à 1 de centre à bord) et quadruple différence locale de focale (différence de tirage, ou aberration longitudinale). Pratiquement, j’opère sans masque, mais avec une règle en papier placée sous le miroir et graduée en position moyenne (de 0 à 1 de centre à bord). Je cherche alors le tirage donnant une teinte plate centrale. Puis je dévisse le tirage de millimètre en millimètre en observant et notant à chaque fois la position relative (hm) de la portion de miroir en teinte plate.
Connaissant les valeurs idéales je peux ainsi évaluer l’avancement de ma parabolisation. Cette méthode fait ses preuves mais surtout au début de la parabolisation quand le travail à faire est important, que l’on ne connaît pas encore bien la vitesse et l’effet des courses sur la forme, et que l’on veut à ce niveau-là gagner du temps et du confort. Mais elle a un défaut principal, ÉNORME: elle n’est pas innocente, dans le sens que l’on fait la mesure en sachant la bonne réponse, et dans les délicates conditions de mesure que donne la méthode de Foucault-que son génie soit à jamais célébré-lumière faible, image vacillante, on a vite fait de prendre ses désirs pour des réalités... à n'utiliser donc qu'avec une extrême circonspection !


Surcorrection sphérique - couteau en zone centre|moyenne|bord
source : Jean Texereau, la Construction du téléescope d'amateur

Le travail de parabolisation avançant, je suis revenu à la méthode de Texereau, plus fiable et précise, mais là encore il faut s’efforcer de travailler (pour les mesures de contrôle) le plus idiotement possible en ignorant tout de la valeur des chiffres notés. Il ne faut surtout pas (comme je l’ai fait plusieurs fois) se dire «bon, pour la zone suivante je devrais dévisser de deux tiers de tour», car dans ce cas il est évident que-miracle !-c’est exactement ce qu’on va trouver... l’objectivité demande une vigilance constante dans la naïveté !


Mon masque à 6 zones

J’ai arrêté les frais après la vingt-septième retouche, le bulletin de contrôle (ci-dessous) me donnant une magnifique erreur d’onde de lambda/28, valeur à laquelle je ne saurais prétendre, me méfiant définitivement des chiffres, mais promettant sans doute un bon lambda/10. La première séchée de parabolisation laisse le miroir... sphérique, la deuxième plus vigoureuse y fera un trou central qui ne sera rattrapé qu’une bonne douzaine de retouches plus tard... L’ensemble de la parabolisation est menée en deux semaines avec des découragements devant l’imprévisibilité de l’effet des courses spéciales. On perd surtout beaucoup de temps à remettre en place l’appareil de Foucault, le miroir (nettoyé), tout régler, après chaque retouche de quelques minutes. Évidemment si j’avais suivi à la lettre notre ami Jean, j’aurais après chaque retouche attendu plusieurs heures pour l’homogénéisation de la température du miroir... mais trop impatient j’étais de terminer ce miroir et de libérer enfin ma chambre de cet encombrant poste de travail, de la colophane (le rognage des carrés est très miettogène !) et du blanc à polir qui l’accompagnent.


Mon dernier bulletin de contrôle

 

C. Monture et support

La réalisation du «tube» a été faite au plus simple et au plus petit: monture altazimutale «Dobson» de type serrurier (jonction des deux boîtes-miroir par des cornières en aluminium disposées en triangles. Il a été très bénéfique d’y penser longtemps à l’avance: je dessinais déjà des plans alors que je ne n’en étais qu’au doucissage. Cette anticipation permet de prendre le temps nécessaire aux bonnes idées et d’éviter en les commettant virtuellement, les erreurs lors de la réalisation. Un autre intérêt important est de rendre concret le futur télescope qui n’a que la forme d’un disque dépoli déprimé... ça aide beaucoup à terminer la taille du miroir ! C’est aussi le moment des premières déceptions: on se rend compte que les différentes épaisseurs de bois ne sont pas négligeables et que le télescope sera en définitive plus gros que souhaité...


Ma chambre transformée en menuiserie...

Le plus gros problème de «prévision» a été de prévoir la taille de la boîte contenant le miroir principal la plus petite possible de façon à ce que le centre de gravité tombe au niveau de l’axe de rotation altitudinal. Cette boîte devait aussi pouvoir contenir la tête du télescope démonté, l’ensemble tenant en une seule boîte. Un défaut (prévu d’ailleurs) n’a pas trouvé de solution: pour que la tête puisse se ranger dans la boîte miroir, toutes les vis (huit) destinées à la fixation des cornières doivent être retirées, ce qui représente du temps et la probabilité d’en perdre dans la nature. Le bois utilisé a aussi été choisi: l’ensemble du télescope est en medium 10mm, bon marché et résistant, mais lourd. tandis que la tête (pour des questions de poids) a été faite en contreplaqué 10mm. Le porte-oculaire a été fait en réutilisant des vieux (et lourds) tubes filetés.


Le miroir secondaire de 32mm, prévu au départ pour une plus longue focale était plutôt limite avec l’ouverture de 4,8. J’ai dû finir par renoncer à l’option photographique qui exigeait une sortie du foyer d’au moins quatre centimètres en dehors de la tête, ce qui n’aurait pas donné une image en pleine lumière. Le foyer a donc été prévu au plus près du tube du télescope (il sort de 13mm), de façon à permettre l’image en pleine lumière la plus grande possible. Par après, regrettant cet abandon à la photo qui m’était chère, j’ai prévu en modifiant la fixation des cornières de raccourcir le tube de quelques centimètres, faisant ainsi sortir l’image suffisamment pour être utilisée photographiquement malgré une perte de luminosité dans les coins. Le démontage/remontage, contraignant, ne permet pas le passage rapide d’un mode à l’autre mais au moins n’interdit pas ni une utilisation visuelle la meilleure possible, ni une utilisation photographique occasionnelle, il est vrai limitée d’ailleurs aux sujets très brillants par le type même de monture et aussi par l’équilibre du télescope qui est rompu par le poids du boîtier photo.


Le barillet a été conçu aussi au plus simple suivant Texereau: une petite planche sur laquelle repose le miroir par l’intermédiaire de trois vis appointées et étamées et miroir maintenu par trois vis et rondelles de caoutchouc, et latéralement par deux vis qui servent à caler en place. Le réglage peut ainsi se faire œil en place en quelques secondes.
L’araignée est constituée de feuillard (de plus en plus dur à trouver car il est maintenant remplacé par du plastique) tendant le support qui est une rondelle de hêtre et rigidifiant l’ensemble. Le perçage de ce support est délicat, les trous devant être bien parallèles entre eux et il faut calculer juste pour que les nombreuses vis ne se télescopent pas.
L’ensemble est scié percé et assemblé entre le 20 et le 24 décembre. Le télescope est utilisable à Noël !

 

D. Métallisation du miroir principal

Bien décidé à mener cette construction de façon autonome de bout en bout, je me propose d’argenter le miroir, par la méthode décrite par Texereau et Danjon & Couder. Je me mets donc en quête début janvier des produits nécessaires.
L’eau purifiée, l’alcool à 90°, l’acide tartrique et le nitrate d’ammonium seront trouvés sans trop de mal dans quelques pharmacies. Pour ce qui est de l’acide nitrique et du nitrate d’argent, je devrai passer par mon médecin qui m’en prescrira pour «soin de verrues» !
Les opérations se déroulent mal, je m’y reprends à plusieurs fois, modifiant les dosages, mais à chaque fois soit la couche est belle mais trop fine et partant au rinçage, soit trop épaisse et impolissable. J’utilise tous mes produits en vain, le résultat est moyen, la couche est pâle, irrégulière et contient un grand trou. Je dois donc me résoudre à la dissoudre et à envoyer mon télescope vers une cloche à aluminure. Par bouche à oreille électronique, je trouve un sympathique étudiant en électronique à Bordeaux, qui a à sa disposition tout le matériel pour dépôts de couches minces et qui accepte de me le faire gracieusement. Le miroir part... et revient enfin brillant ! La monture est peinte, acrylique noire à l’intérieur, laque jaune et rouge à l’extérieur. Le télescope est enfin terminé fin mai 2000. Mais une construction comme ça n’est jamais terminée... Je n’ai pas de chercheur et c’est bien handicapant. L’ensemble tient dans une boîte de 28*23*24cm et pèse 7kg.

E. Budget

Abrasifs
206FF
Cuvettes, éponges...
37FF
Colophane (300g
24FF
Bois
77FF
Cornières alu
18FF
Visserie
191FF
Chimie (argenture)
286FF
Total
839FF

On trouve maintenant autour de Noël des télescopes en grandes surfaces autour de 1000FF (150E), il ne reste plus qu’à se persuader qu’un télescope «fait main» est meilleur !

Fait à Schiltigheim, le 2 mars 2001

F. Photos

Montage du télescope

Détails des différentes parties

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